Sandrine Ferré
Maitre de Conférence, Université de Tours – INSERM U930 Imagerie et cerveau, Tours
Les enfants présentant un trouble spécifique du langage (TSL) sont particulièrement sensibles à la complexité phonologique. Leurs performances chutent quand on les confronte à des structures phonologiques particulières ou quand la complexité augmente. La complexité phonologique peut donc être considérée comme un domaine fiable pour l’identification du TSL. Dans un contexte bilingue, toutefois, les difficultés phonologiques peuvent provenir soit d’un trouble du langage, soit de structures qui ne sont pas encore acquises dans la seconde langue (L2). Ces aspects sont fréquemment à l’origine de sur-diagnostics et de sous-diagnostics chez les enfants bilingues. Par ailleurs, les outils d’évaluation standardisés sont peu adaptés car fondés sur des normes monolingues : une acquisition bilingue n’est en effet pas la somme de deux acquisitions monolingues. Ces tests tendent donc à défavoriser les enfants bilingues, notamment s’ils exploitent le stock lexical qui peut être de fait plus faible chez un enfant dont l’acquisition a commencé plus tard. Une façon de résoudre ce problème est d’utiliser une tâche de production qui limite la charge lexicale ainsi que l’importance de la quantité d’exposition à la L2.
Les tâches de répétition sont des méthodes couramment utilisées par les cliniciens pour évaluer les compétences linguistiques et en particulier les compétences phonologiques des enfants avec TSL. Dans le cas spécifique d’une tâche de répétition de non-mots, l’enfant par définition n’a jamais entendu l’élément à répéter et par conséquent cet élément ne fait pas partie de son lexique mental. Cette tâche atténue ainsi l’effet de fréquence/d’exposition d’un mot déjà connu que l’on pourrait retrouver dans des tâches purement lexicales. Certaines tâches de répétition de non-mots ont été principalement élaborées pour évaluer la mémoire de travail en manipulant, par exemple, la longueur syllabique des items. Il est alors difficile de déterminer si ce sont réellement la compétence linguistique ou les fonctions cognitives qui sont affectées. En outre, les tâches de répétition de non- mots les plus connues ne sont pas, pour leur grande majorité, destinées à une population se trouvant dans un contexte plurilingue. Par exemple, les items du plus connu d’entre eux, le CNRep (Gathercole et al., 1996), sont construits en respectant à la fois la phonotactique et la prosodie de l’anglais, ce qui les rend proches de mots existant en anglais. Ce test pourrait ainsi mettre en difficulté un enfant dont l’anglais n’est pas la langue dominante, et ce même en l’absence de trouble du langage.
Un test de répétition de non-mots qui a pour objectif d’évaluer la phonologie d’un locuteur bilingue, avec et sans TSL, doit donc intégrer une phonologie indépendante de la langue ainsi qu’une phonologie dont la complexité est mesurable.
Dans le cadre de l’action COST IS0804 « Language Impairment in a Multilingual Society : Linguistic Patterns and the Road to Assessment » (www.bi-sli.org), nous avons élaboré un test de répétition de non-mots LITMUS-NWR-FRENCH qui prend en compte les variables inhérentes au bilinguisme et à la fragilité phonologique des enfants avec TSL. Nous présenterons les résultats de quatre groupes d’enfants avec et sans TSL, bilingues et monolingues âgés de 5 à 8 ans.