“LES-MOTIONS” PULSIONNELLES DE LA VOIX
Claire Gillie
33 rue du Faubourg Montmartre 75009 Paris
gillie.claire@gmail.com
C’est une première mue symbolique – mutation de la voix en langage – qui nous fait perdre les sensations phonatoires du bébé, pour nous faire gagner du sens : notre voix se fait porte-paroles au gré de l’écoute et de l’attente de l’autre. Puis vient le temps d’habiller la parole de ses plus beaux atours vocaux … ou de ses pires défroques ; avec pour enjeu au mieux le partage, au pire prendre l’autre dans les rets de la séduction, ou lui cracher au visage, au gré de ses « états d’âme ». Pour d’autres qui s’avancent masqués, le geste vocal se trouve figé derrière un faciès qui s’autorise peu de démonstrations d’émotions ou d’affects ; la voix ne peut alors épouser les contours des caisses de résonance, ni ne peut s’appuyer sur les sensations de plénitude phonatoire. L’autre, plus ou moins bon public ressent le frisson, la surprise, ou bien encore la répulsion. Si la voix redonne du corps aux mots de l’émetteur, elle redonne corps aussi à l’auditeur. C’est un passage à l’acte, où on empoigne le mot à bras le corps pour lui faire rendre son dernier souffle ; ou retrouver le silence d’avant le premier cri.
A la lumière de l’anthropologie psychanalytique, il nous faudra interroger la « pulsion invocante » tapie au creux du geste vocal et cette sorte de jouissance interdite – censurée ou auto-mutilée – qui fera dire à l’Ana de Bernard Noël : « J’ai en moi une ferraille d’émotions, et mon seul souci est de dégager mon cœur de tous ces piquants pour qu’il puisse battre au large ».